Comment planifier et construire les infrastructures de transport durables et accessibles lorsque une grande partie des déplacements est assurée par le transport artisanal (aussi appelé transport informel) ?
Cette question est posée par le Ministère des Transports de Côte d’Ivoire, alors qu’il prépare plusieurs projets de grande ampleur dans le cadre de son Plan de Mobilité Urbaine d’Abidjan.
This article is also available in English
Avec le soutien financier et technique de l’Agence Française de Développement (AFD), le Ministère a donc lancé un projet de cartographie des transports formels et informels du district d’Abidjan.
L’objectif, aujourd’hui atteint : disposer d’un double numérique du réseau de transport de grande qualité et à jour afin d’orienter au mieux l’action publique.
Les sociétés Systra et Jungle Bus ont répondu à cet appel en 2019 et ont produit les données de transport d’Abidjan : elles sont à présent disponibles pour tous sur le centre de ressources de DigitalTransport4Africa.
Dans la lignée des projets précédents de DigitalTransport4Africa, le projet a adopté une stratégie visant à contribuer à des communs numériques. L’enjeu est ici que la production des données d’offre de transport soit un socle numérique de connaissance partagée qui bénéficie à tous, autant à la puissance publique qu’à des tiers (universitaire, entreprise ou simple citoyen) désireux d’apporter de la valeur sur des sujets de mobilité.
Ainsi, toutes les données produites sont disponibles sous licence libre et l’équipe du projet a réalisé et contribué à plusieurs outils libres et réutilisables.
Avant tout, le projet a fait le choix d’OpenStreetMap (OSM), le Wikipédia des cartes. Ce projet collaboratif de cartographie du Monde entier permet à chacun de participer et de créer les données géographiques de son quartier. C’est aujourd’hui la plus grande base de données géographique sous licence libre et dans de nombreux pays, c’est même la carte la plus complète qui existe. Elle rassemble les contributions d’une communauté diverse, du citoyen engagé aux entreprises et universités en passant par les autorités locales ou les organisations internationales.
Avec l’appui de l’association OpenStreetMap Côte d’Ivoire, qui promeut le projet dans ce pays, toutes les données de transport ont ainsi été créées dans OpenStreetMap.
Un projet collaboratif
La première étape du projet a été de poser un diagnostic des lignes de transport à relever. Pour les habitants du district d’Abidjan, ce sont 80% des déplacements qui sont effectués en transport informel. Or, par définition, peu d’informations existent pour ces réseaux. C’est pourquoi un travail d’identification des lignes sur le terrain a été mené en collaboration avec les autorités locales : sur la base des informations déjà en leur possession, l’équipe s’est rendue dans les différentes gares routières et zones de correspondances du réseau afin de lister les lignes qui s’y arrêtaient et leurs destinations.
Des contributeurs OpenStreetMap de chaque commune du Grand Abidjan et de chaque quartier ont été mobilisés pour cette tâche afin d’apporter leur connaissance locale et leur expérience de ces transports informels ; ils ont ensuite reçus une formation technique pour réaliser les enquêtes terrains détaillées. Plus de 10 personnes étaient autonomes afin de réaliser une collecte en empruntant les moyens de transport mais aussi pour réaliser des enquêtes et des relevés des horaires en se plaçant aux grands hubs de transport du district.
Équipés d’un smartphone sur lequel était installée une application mobile spécifique au projet, ces collecteurs ont ensuite arpenté de long en large les réseaux de transports terrestres autant que lagunaires.
L’étape suivante a été de modéliser dans OpenStreetMap le réseau de transport à partir de ces très nombreuses données brutes. La création de ce jumeau numérique nécessite de se pencher sérieusement sur la méthode de création de données afin de structurer l’information et de la rendre facilement ré-utilisable : des outils spécifiques ont été développés pour l’occasion (voir la suite de cet article) et une méthodologie spécifique a été créée en s’appuyant sur l’expérience des contributeurs OpenStreetMap participant au projet.
Le niveau de qualité est ambitieux : les données produites doivent pouvoir être utilisées autant pour l’étude du réseau, afin de faire évoluer les politiques publiques de transport, que pour un usage d’information voyageurs. Sur la base des données, un plan schématique de transport a en effet été créé par l’entreprise Latitude Cartagène ainsi que plusieurs prototypes d’application mobile de calcul d’itinéraire.
Des outils numériques ré-utilisables
La documentation du projet, elle aussi sous licence libre, ainsi que les supports des formations réalisées à Abidjan vous permettront d’en savoir plus. Ces guides sont à votre disposition si vous souhaitez adapter ces outils et cette méthodologie sur votre propre territoire.
De plus, l’intégralité des outils techniques utilisés et créés pour le projet sont disponibles sous licence libre, et utilisables pour d’autres projets de cartographie. La double expertise de l’équipe sur les transports et sur OpenStreetMap a permis de développer des outils spécifiques parfaitement adaptés aux besoins des contributeurs.
En voici une petite sélection :
OSMTracker et son interface dédiée aux transports
-> une application mobile pour collecter les informations à bord des véhicules : emplacement et nom des arrêts, tracé des lignes, vitesses observées, remplissage des véhicules, etc
Busy Hours
-> un outil pour modifier les fréquences de passage des véhicules des lignes de transport dans OpenStreetMap.
L’interface simplifiée de cet outil accélère la création de données des fréquences de passage des véhicules de transport.
osm2gtfs
-> un script pour transformer les données d’OpenStreetMap au format GTFS, standard d’échange pour les calculateurs d’itinéraires et les outils de planification de mobilité.
En plus de ces logiciels libres, quelques outils plus techniques ont également été développés pour faciliter le travail de saisie et de contrôle qualité dans OpenStreetMap afin de créer des données précises et utilisables.
Le projet mené à Abidjan confirme une nouvelle fois s’il le fallait la pertinence des communs numérique et d’OpenStreetMap pour cartographier efficacement les réseaux de transport.
Ce riche écosystème facilite en effet la collaboration entre les communautés locales, les bailleurs de fonds tels que l’AFD, les collectivités locales et les consultants en mobilité durable, et cela pour le bénéfice de tous.
En 2021, plusieurs projets sont en cours pour proposer des outils d’information voyageurs aux Abidjanais sur la base de ces données. Jungle Bus et OSM-CI seront mobilisés pour organiser des campagnes additionnelles de relevés et mettre à jour les données afin de refléter au mieux l’évolution des réseaux sur le terrain.
Plus d’informations concernant ce projet sont disponibles sur le site http://sites.digitaltransport.io/abidjantransport
Bien Joué Jungle Bus !